2009/12/16

TOUT EST UNE LOUVE PAUMÉE

Texte publié dans le magazine Standard





L’Italie, c’est l’Enfer. Rome, en politisant l’hypothèse christique, a entraîné l’humanité dans une spirale de mort. Le Zohar le dit : « Le saint, béni soit-il, enverra l’ange exterminateur qui détruira la ville de Rome pour toujours. » Mais le Paradis est caché dans l’Enfer comme le fruit dans l’amande. C’est Sienne : lumière de l’aube au milieu des écorces toscanes éparses. Sur la Porta Camollia, le voyageur matinal peut lire : « Bien plus que sa porte, Sienne t’ouvre son cœur. » Le Bon Gouvernement qui dirigea entre les XIIIe et XIVe siècles la République de Sienne fut l’épiphanie provisoire du Jardin d’Eden. On y dansait dans les rues et seule la peste noire faisait peur aux habitants. Sienne, c’est la drogue parfaite : L’Histoire étant une branche de la littérature fantastique, je connecte mon cerveau droit sur les hallucinations audiovisuelles produites par son rouge électrique ; et la Piazza del Campo incurve l’espace comme une coquille d’escargot cosmique. C’est le Mangia qui garde Sienne, un gras automate barbu qui sonnait leur cloche et protégeait leurs œuvres : celles de Duccio, Simone Martini et Ambrogio Lorenzetti, trois créateurs d’une rare bonté. Lorenzetti fait danser la cité sur les murs du Palais Public : « Les fresques chantent, vibrent, pleurent et s'apaisent et s'enflent comme un chœur de violoncelles. » (Élie Faure) Sur une des fresques de Martini, le condottiere Guidoriccio siège sur un cheval qui fait furieusement penser à un escargot déguisé. Quant à Duccio, sa Maesta au visage androgyne était portée dans la ville, de son atelier jusqu’au Dôme, par l’ensemble des habitants le 9 juin 1310. « On n’a jamais vu qu’une fois, écrit Suarès, tout un peuple se lever, un jour de printemps, pour faire escorte à une œuvre d’art et marcher comme un seul homme derrière une peinture. » Si la Fontaine de Joie est un chef d’œuvre d’air et d’eau, Notre-Dame-de-l’Assomption est un vertige de marbre. L’après-midi est orageuse ; une jeune brésilienne m’aide à retrouver le carré magique inscrit à l’extrême-gauche de la cathédrale : SATOR AREPO TENET OPERA ROTAS. Malgré la barbarie d’un monde soumis à un dieu fou et aveugle, les quartiers de Sienne sont au nombre de 17, l’Arcane Stellaire, comme si le Ciel lui-même avait chut dans la cité pour se faire pardonner sa violence. La nuit tombe. Le monde est une louve paumée. Tous les hommes sont les fils d’une louve ivre dont les mamelles suintent l’alcool à 90°. Tout est une louve paumée.